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Photo du rédacteurGastine Musique

"TROIS DIX TREIZE" poème de Nhat, lauréate du concours "Hé crie ton amour pour la Méditerranée"

Dernière mise à jour : 16 nov. 2020



Trois dix treize

Cette date ne te quittera plus

Gravée tatouée lacérée

Trois dix treize

Jour funeste

En mer ma mer ma terre

Mer de mes pères

Pêcheurs de père en fils

Mort, tu l'as pris dans tes filets

Petit pêcheur à la palanque

Entre Europe et Afrique

Île au milieu de nulle part

Trois dix treize

Ce jour funeste te hante

Depuis tu vis au hasard hagard

Tu es parti avant le lever du jour

Pour ta journée de pêche

Tu les adorais ces matins limpides

Matins bleu gris aux paupières engourdies

Ce ruban d'argent caressé par ton esquif

Mer de tes pères

Méditerranée

Terre que tu foules

Brise que tu respires

Femme que tu enlaces

Amie de tes confidences

Couche où tu t'étends

Méditerranée

Ce matin-là

Tu as sursauté

Cris

Hurlements

Tu as cru que c'était les puffins

Des mouettes rien que des mouettes

Et puis la rumeur s'est épaissie élargie amplifiée

Trois dix treize

Tu as vu le monstre devant toi

Le feu sur l'eau

Feu et fuel

Explosions détonations sifflements déflagrations

Tonnerres fracas

Chutes

Gémissements

Râles

Tous les jours toutes les nuits

Tu penses à ces corps que tu n'as pas pu arracher des flammes et de l'eau

Ces corps qui glissaient de tes mains

Ces mains qui glissaient et qui sombraient

Ces mains pleines de mazout et d'impuissance

Toi fiévreux délirant rageant insultant

La mer de tes pères

Mer criminelle

Mer impitoyable

Mer de l'enfer

Tu en as sortis quelques-uns pourtant

Hommes femmes enfants tu ne sais plus

Pauvres fantômes silencieux dérisoires

Migrants tirés du néant

Le regard de ceux

Que tu n'as pas pu sauver

Qui ont hurlé qui se sont battus débattus

Qui ont renoncé

Le regard de ceux qui ont compris

Retourne sans fin ton cœur naufragé

Trois dix treize

Corps qui frémissent encore

Corps dans le ressac

Cadavres dans les vagues

Cimetière marin infini

Ô mer tombeau à ciel ouvert

Plaie ouverte couverte de sel

Chaque jour tu te rappelles

Ô souvenir brûlant

Tu suffoques pantelant

Ton esquif caresse toujours ce ruban d'argent

C'est toujours la mer de tes pères

Terre que tu foules

Brise que tu respires

Femme que tu enlaces

Amie de tes confidences

Couche où tu t'étends

Méditerranée

Et pourtant

Trois octobre deux mille treize

Que n'as-tu fait de prières

Petit pêcheur à la palanque

Entre Europe et Afrique

Sur cette île au milieu de nulle part

Chaque nuit

Tu te noies

Tu te noies

Pour les morts

De Lampedusa


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