Trois dix treize
Cette date ne te quittera plus
Gravée tatouée lacérée
Trois dix treize
Jour funeste
En mer ma mer ma terre
Mer de mes pères
Pêcheurs de père en fils
Mort, tu l'as pris dans tes filets
Petit pêcheur à la palanque
Entre Europe et Afrique
Île au milieu de nulle part
Trois dix treize
Ce jour funeste te hante
Depuis tu vis au hasard hagard
Tu es parti avant le lever du jour
Pour ta journée de pêche
Tu les adorais ces matins limpides
Matins bleu gris aux paupières engourdies
Ce ruban d'argent caressé par ton esquif
Mer de tes pères
Méditerranée
Terre que tu foules
Brise que tu respires
Femme que tu enlaces
Amie de tes confidences
Couche où tu t'étends
Méditerranée
Ce matin-là
Tu as sursauté
Cris
Hurlements
Tu as cru que c'était les puffins
Des mouettes rien que des mouettes
Et puis la rumeur s'est épaissie élargie amplifiée
Trois dix treize
Tu as vu le monstre devant toi
Le feu sur l'eau
Feu et fuel
Explosions détonations sifflements déflagrations
Tonnerres fracas
Chutes
Gémissements
Râles
Tous les jours toutes les nuits
Tu penses à ces corps que tu n'as pas pu arracher des flammes et de l'eau
Ces corps qui glissaient de tes mains
Ces mains qui glissaient et qui sombraient
Ces mains pleines de mazout et d'impuissance
Toi fiévreux délirant rageant insultant
La mer de tes pères
Mer criminelle
Mer impitoyable
Mer de l'enfer
Tu en as sortis quelques-uns pourtant
Hommes femmes enfants tu ne sais plus
Pauvres fantômes silencieux dérisoires
Migrants tirés du néant
Le regard de ceux
Que tu n'as pas pu sauver
Qui ont hurlé qui se sont battus débattus
Qui ont renoncé
Le regard de ceux qui ont compris
Retourne sans fin ton cœur naufragé
Trois dix treize
Corps qui frémissent encore
Corps dans le ressac
Cadavres dans les vagues
Cimetière marin infini
Ô mer tombeau à ciel ouvert
Plaie ouverte couverte de sel
Chaque jour tu te rappelles
Ô souvenir brûlant
Tu suffoques pantelant
Ton esquif caresse toujours ce ruban d'argent
C'est toujours la mer de tes pères
Terre que tu foules
Brise que tu respires
Femme que tu enlaces
Amie de tes confidences
Couche où tu t'étends
Méditerranée
Et pourtant
Trois octobre deux mille treize
Que n'as-tu fait de prières
Petit pêcheur à la palanque
Entre Europe et Afrique
Sur cette île au milieu de nulle part
Chaque nuit
Tu te noies
Tu te noies
Pour les morts
De Lampedusa
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